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Lettre à Simone(s),

 

Ce S, s’invitant à la fin du prénom “Simone” à vocation à s’adresser à trois grandes femmes, trois grandes Simone(s) : Simone de Beauvoir, Simone Veil et Simone IFF ; ces Simone(s) que le Planning Familial a célébré pour ses 60 ans, en 2016 : par sa campagne “Simone for ever”.

 

Ce S, car c’est vers vous que je me tourne, que tous les regards se tournent, comme un.e enfant qui se tourne, se réfugie auprès de sa mère... quand plus rien ne va.

 

Vous avez été toutes les trois, source de droits, de transmission, d’inspiration... et je viens encore vous importuner, questionner, pour mieux comprendre certaines incohérences qui demeurent dans notre société.

 

Le 19ème siècle fut celui des lumières, du questionnement sur l’égalité, sur les droit : l’esprit des lois.

 

Le 20ème siècle, fut celui des conquêtes pour les droits des femmes : ce fut votre siècle !

 

Le 21ème siècle était donc bien parti avec un tel héritage et pourtant, nous ne sommes qu’aux prémices de ce siècle et nous assistons déjà à la fragilisation des droits des femmes, en temps de crise ou lorsque l’on baisse la garde.

 

Peu importe le siècle, nous appartenons toujours à une société où le patriarcat est plus ancré dans nos inconscients collectifs que les droits fondamentaux ne le sont. Une société où le genre conditionne les comportements et les rapports entre les personnes.

 

Cet ancrage dans la société de ces rapports de domination dès le plus jeune âge, que l’on nomme sexisme, n’est pas étranger à ce que l’on retrouve plus tard sous l'appellation de “violences conjugales” voire de “féminicides”.

 

Simone de Beauvoir, vous avez joué un rôle central dans cette réflexion sur les rapports de sexes, vous l’avez même théorisé à une période où personne ne s’intéressait à la condition des femmes... Dès “Le deuxième sexe” vous avez a pu mettre en exergue que la problématique dans le couple, dans la société est liée aux rapports de genre que perpétuent autant les femmes que les hommes. “

 

Le deuxième sexe” à sa manière a été précurseur de la dénonciation de ce que l’on nomme aujourd’hui “l’emprise” pas uniquement individuelle mais aussi sociétale. Vous avez lutté contre ce déterminisme que l’on qualifiait de naturel du fait d’une appartenance à un sexe... et que l’on invoque pour justifier des différences de traitement, voire de la violence.

 

Simone, votre citation “n’oubliez pas qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ; Ces droits ne sont jamais acquis ; vous devrez rester vigilantes votre vie durant”... nous l’avons tous.tes en mémoire, encore plus aujourd’hui.

 

Quant à vous, chère Simone Veil, qui ne connait pas votre loi relative à l’interruption volontaire de grossesse ? Au-delà de ce combat, vous vous êtes également battue contre toutes formes d’humiliation, de harcèlement et de sexisme, qui constituent de la violence. Vous aviez fait le lien entre la dépendance économique et la pérennisation des rapports de genre.

 

Jusqu’au bout, vous avez été à l’écoute des réalités sociales : “Aujourd'hui, d'une certaine façon, je ne ferme pas la boutique de mes idées, et si je travaille moins naguère, je persiste à défendre les causes qui me paraissent justes, dans le contexte des réalités contemporaines.”

 

Vous concernant, Simone IFF, j’ai eu la chance de vous connaitre, et de partager avec vous une couverture de magazine pour célébrer les 50 ans du Planning Familial, à l’image d’une des premières affiches du Planning montrant l’engagement de trois générations de femmes pour défendre le slogan “un enfant si je le veux, quand je veux”.

Nombreux.ses sont ceux et celles qui n’ont jamais entendu votre nom ... et pourtant... vous avez tant fait pour les droits des femmes. Vous étiez la présidente du Planning Familial de 1973 à 1981, vous avez été à l’origine du “manifeste des 343 salopes” rédigé par votre acolyte, Simone de Beauvoir, vous avez témoigné au procès de Bobigny en 1972, aux côtés de Gisèle Halimi.

 

Nous retiendrons également votre citation prononcée, lorsque vous étiez conseillère d’Yvette Roudy au ministère : “nos luttes ne seront pas achevées tant qu’il y aura des restrictions à ce droit” en parlant du droit à disposer de son corps. Votre travail a consisté à déconstruire les stéréotypes genrés à l’origine des violences, à défendre l’éducation à la sexualité, la contraception, l’avortement dans une démarche d’éducation populaire, par exemple à travers votre livre “demain la société sexualisée “.

Vous trois, avez connu la guerre, les restrictions... aujourd’hui, l’état d’urgence, le confinement c’est pour sauver nos vies face à un virus.

Ce confinement, pour vous, ce fut l’occasion de vous mobiliser autour de la condition féminine, de la lutte pour les droits des femmes.

Ce confinement, pour nous, aujourd’hui permet de faire le constat que nos droits sont fragiles, que rien n’est acquis.

Ce confinement, a eu des effets à l’égard de l’ensemble de la société.

Mais la peur de la mort a été des plus particulières pour les plus vulnérables, et on classe encore de nos jours les femmes dans cette catégorie, aux côtés des enfants face à des violences intrafamiliales. Fuir ces violences pour la majorité des victimes c’est affronter une autre mort, celle du virus...le choix est difficile surtout dans une situation d’enferment, d’emprise.

 

On préfère le familier à l’inconnu et à l’insécurité... mais quelle sécurité ? Celle qui confond amour et possession ? Celle qui mène au féminicide ?

Le constat pour 2019 a été alarmant concernant les féminicides, provoquant la nécessité d’un grenelle... ce grenelle aura surtout eu le mérite d’éveiller les consciences sur ce fléau que vous dénonciez déjà toutes les trois à vos manières, mais surtout de sensibiliser les professionnels qui étaient censés depuis 2010 intervenir dans les dispositifs de protection des victimes de violences conjugales de manière coordonnée et rapide.

 

Les chiffres étaient dramatiques avant le confinement...

logiquement, tout.e professionnel.le intervenant sur les violences ne pouvait qu’affirmer que ces violences seraient exacerbées durant le confinement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 35% de violences ont été signalées du fait des plaintes. Mais qu’en est-il du fameux chiffre noir ? Chiffre noir d’autant plus fort en présence de violences sexuelles dans le couple.

 

Ce sont ces femmes qui n’ont pas eu la force de faire le pas, ces femmes isolées de tout voisinage, ces femmes ne maitrisant ni la langue ni la procédure...

Ces chiffres sont inquiétants et reflètent une société qui succombe toujours à ses vieux démons, le patriarcat en fait partie.

Ces violences ont été visibilisées, notamment par le biais des associations et des actions du gouvernement.

Le confinement a eu également, d’autres effets sur les droits des femmes, sur les femmes : Celles que l’on retrouve mortes dans les forêts, dans le plus grand silence... car leur gagne-pain consiste à exercer le plus vieux métier du monde. Métier où flirter avec la mort devient une triste réalité pour une majorité de prostituées. La grande précarité de ces femmes semble être imperméable aux règles du COVID19... On les invisibilise jusqu’à les oublier.

Celles qui ont subi une agression sexuelle ou un viol. Elles ont daigné sortir durant le confinement... les journées deviennent la nuit... l’espace public a été vidé et donc ceux qui y restent considèrent que tout ce qui s’y trouve devient leur propriété... de là à passer outre le consentement de la personne. Tout cela semble être d'un autre temps, irréaliste, et pourtant, le nombre des infractions sexuelles a été important durant le confinement. Il révèle l’intériorisation d’un modèle, comme s’il fallait sanctionner celle qui a enfreint le confinement avec des règles des plus archaïques. Ce sont ces règles qui dans le passé ont poussé les femmes à se cantonner à l’espace privé, espace censé les protéger, espace qui a légitimé, la répartition des tâches, les rapports de domination.

Celles qui ont voulu avorter.

A ce propos, chère Simone Veil, vous qui vous êtes battue pour que chaque femme puisse librement disposer de son corps, on assiste aujourd’hui en confinement à ce que les femmes s’excusent lorsqu’elles appellent pour un avortement. À ce que l’on entende “revenez avorterà la fin du covid”.

Le confinement et l’état d’urgence sanitaire, ce n’est pas que de la violence, c’est aussi un contexte qui favorise le rapprochement des couples, et donc des relations sexuelles moins protégées. Cela est d’autant plus logique qu’il a fallu attendre un arrêté permettant à ce que la pilule soit renouvelée avec une ancienne ordonnance.

Lorsque le confinement a été décidé, on a essayé de penser à presque tout, tout, mais on a oublié les femmes et leurs fondamentaux. La majorité des femmes pensait ne pas pouvoir avoir accès aux services habituels. Aucune information n’avait été mise en place.

L’IVG est également liée à l’urgence dès lors que pour des questions d’éthique, elle est enfermée dans des délais, dans une lourde procédure ; on n’a pas tout de suite pensé à la conciliation de l’urgence de l’IVG à l’état d’urgence mis en place.

La loi sur l’IVG a été une succession de concessions, la fragilité de ce droit se révèle donc tous les jours sur le terrain, ce d’autant plus durant des crises et l’état d’urgence qui en découle.

Le numéro vert national « Sexualités, Contraception, IVG » porté par le Planning Familial et le travail de terrain de cette association, a fait état d’une augmentation des appels de 31%, essentiellement liés à l’avortement et au test de grossesse.

Il ressort de ce recueil de données, un constat relatif à la baisse des appels liés à la contraception, aux IST/VIH, ce qui est parfaitement résumé par le Planning familial “Nous sommes donc dans une période où l'urgence prime sur la réduction des risques”.

Le manque d’information au moment de la mise en place du confinement a eu pour effet, une augmentation conséquente des délais dépassés. Encore une fois, seules celles qui auront les moyens pourront aller avorter aux Pays-Bas, mais pas sans peine. Il reste aux autres femmes, la possibilité de tenter peut-être une IMG pour raisons psycho-sociales, c’est une “avancée”, qui a été annoncée par le ministre de la santé, le 23 avril dernier. Les équipes pluridisciplinaires sont appelées à prendre en compte le contexte inédit du confinement.

C’est ainsi, chère Simone Iff, que des militantes que vous avez connues au Planning, accompagnées de nouvelles forces, de gynécologues, ainsi que d’autres associations comme la Maison des femmes, de quelques parlementaires aussi, ont pu faire remonter ces dysfonctionnements et incohérences par le biais d’articles de presse, de pétitions, d’amendements.

La sensibilisation et la solidarité portent toujours leurs fruits... Un mois après le début du confinement, par un arrêté du ministère de la santé, on est passé d’un délai de 7 à 9 semaines d’aménorrhée pour la prescription de l’IVG médicamenteuse, prescription qui peut se faire sans avoir à se déplacer pour éviter toute contamination. Cette mesure qui est expérimentée durant le confinement ne pourrait qu’être salutaire après, elle désencombrerait les services et rendrait plus effectif l’accès à ce dispositif. Mais c’est insuffisant.

Chère Simone de Beauvoir, en mon fort intérieur, j’espérais que vous auriez tort, mais le constat est amer. On note bien que dès lors qu’il y a une crise, les droits des femmes régressent et ils sont les premiers fragilisés.

Voilà chères Simone(s), où nous en sommes arrivé.es, nous sommes contraint.es de décompter les féminicides pour sensibiliser, pour alerter l’opinion publique et les pouvoirs publics. Nous sommes ô combien loin de vos objectifs ! L’urgence prend le pas sur le travail de déconstruction des préjugés sexistes. Une nouvelle fois, nous mettons la “cause” de côté.

Ce confinement a été des plus instructif sur le travail qui demeure à entreprendre. Vous sommeillerez toujours dans nos combats pour... ne pas oublier... ne pas baisser la garde... aller de l’avant.

A votre image, les défenseur.es des droits des femmes se veulent être des personnes entières, des identités singulières, tout en marchant ensemble, en utilisant le pluriel, comme je l’ai osé aujourd’hui par l’usage de ce titre... à toutes les Simone(s).

Khadija AZOUGACH

Docteure en droit, avocate au Barreau de Paris et anthropologue.

Personne ressource du Planning Familial, secrétaire de

l’association Lawyers for Women (L4W) association internationale de juristes luttant contre les

violences faites aux femmes.

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