Qu’est ce que le viol?
Pour comprendre ce qu’est le viol, il convient de comparer les différents textes de loi le définissant.
Tout d’abord, pour recontextualiser en droit français, le viol est défini par l’article 222-23 du Code pénal comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol”. En droit européen, aucune définition n’est admise, en effet dans la directive sur les violences faites aux femmes émise par l’Union européenne le 8 mars 2022 et ré-examinée en avril 2024 l’Union européenne a pour le moment renoncé à une définition communautaire du viol. Certes ces deux textes de loi nous permettent de comprendre qu’est ce que le viol à l’échelle nationale et euro péenne, or, le crime de guerre de viol doit être étudié à l’échelle internationale, et plus particulièrement à l’échelle du droit de la guerre.
Dans le cas de l’étude du viol comme crime de guerre, il est nécessaire d’étudier la définition du viol dans le cadre du droit de la guerre c’est-à-dire en “droit humanitaire”. La Convention de Genève de 1949 prohibe en son article 3 “les outrages à la dignité personnelle, en particulier les traitements humiliants et dégradants”. En revanche, nous pouvons constater que certes les outrages à la dignité personnelle incluent l’interdiction du recours au viol, le viol n’est pas explicitement interdit. Dans les troisièmes et quatrièmes Convention de Genève de 1949 qui consacrent les notions de “viol” au travers des “tortures et supplices”.
En outre, l’article 27 sur le traitement des personnes protégées de la Convention de Genève dispose que “les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur”. Nous pouvons comprendre avec cette définition implicite que le viol est en effet réprimé lors des conflits armés, en revanche nous pouvons nous questionner sur la réalité de sa répréssion. Il convient de remarquer que dans la Convention, le viol est sanctionné lorsqu’il est utilisé sur les femmes, or le nombre d’hommes victimes est certes moins conséquent que celui des femmes mais il doit être pris en considération. Ce d’autant plus que cela est encore plus tabou, lorsqu’il s’agit des hommes.
Pourquoi le viol est-il utilisé en temps de guerre?
Lors des conflits armés le viol est utilisé comme arme de guerre. En effet le viol procure aux victimes un sentiment de peur et d’insécurité, similaire aux armes plus classiques. A cela le sentiment d’humiliation peut-être ajouté, en utilisant le viol, les auteurs souhaitent atteindre l’honneur d’un groupe. C’est ce que certain.es spécialistes qualifient de “crimes dits d’honneur” (Cf. Fiche thématique numéro 1: Les Crimes dits d’honneur de Khadija Azougach et Jeanne Solal: https://www.lawyers4women.com/atteintes-%C3%A0-l-honneur). Les victimes sont humiliées étant réduites à un simple objet. Le viol en temps de guerre résulte en des conséquences psychologiques dramatiques avec des blessures psychiques par exemple ainsi que des conséquences physiques telles que des grossesses non désirées, des maladies sexuelles transmissibles impactant les générations à venir de la victime. Le viol est utilisé pour montrer la supériorité de position entre les prisonniers ou les civils et les soldats. Il est important de rappeler que les personnes touchées par le viol sont majoritairement les femmes, mais les hommes sont aussi des vi ctimes.
De plus le viol est aussi utilisé pour terroriser les hommes civils, les désohonorer. En effet, les hommes sont obligés de regarder leurs femmes, leurs filles ou les membres de leurs familles être violées rendant ce crime public, contrairement à la majorité des crimes de viols hors guerre. Pour illustrer la fréquence de l’utilisation du viol en temps de guerre, il est estimé qu’en avril 1945 lors de l’arrivée des troupes russes à Berlin 100 000 femmes ont été systématiquement violées par les soldats russes. Plus récemment, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fait l’état d’au moins 124 actes de violences sexuelles liés au conflit en Ukraine contre des femmes, des filles, des hommes et des garçons.
Depuis quand?
Le viol est utilisé en temps de guerre depuis des années voire même des siècles. En effet les premières traces de viol en temps de guerre remontent au XVIIème siècle,Jacques Callo dans son livre “Les Grandes Misères de la guerre” témoigne des viols commis pendant la guerre. Avançons au XIXème siècle lors des conquêtes coloniales napoléoniennes, les viols commis à Cordoue en 1808, à Malaga en 1812 ou encore à Castro Urdiales en 1813 étaient listés. La même méthode de listage a été utilisée lors de la conquête de l’Algérie entre 1839 et 1847. Malheureusement le listage n’a permis aucunes répressions et n’a pas abouti à la reconnaissance du viol comme crime de guerre. Enfin le viol a été utilisé pendant les deux Grandes guerres de 1914 et de 1939.
Le viol a été utilisé plus récemment dans plusieurs guerres. En quelques chiffres, le viol a fait entre 20 000 et 50 000 victimes lors de la guerre de 1992 en Bosnie-Herzégovine, Il a été considéré comme étant partie intégrante de la “purification ethnique” par les serbes en Bosnie-Herzégovine.
On comptabilise entre 250 000 et 500 000 victimes en 1994 au Rwanda. D’ailleurs au Rwanda le viol a été reconnu comme un élèment de génocide car il y avait une volonté de violer les femmes avant de les tuer. et au moins 200 000 victimes au Congo en 1998. Aujourd’hui dans les guerres contemporaines le viol est malheureusement encore utilisé par le régime politique en Lybie, ou en Syrie contre les oppsants; comme dans les conflits Ukraino-Russe ou encore Hamas-Israël. En revanche malgré de nombreuses victimes, aucun chiffre n’a encore été répertorié, on ne peut donc pas comptabiliser les victimes.
Les Nations Unies ont recensé environ 120 victimes de violences sexuelles liées à la quatrième guerre civile soudanaise déclarée le 15 avril 2023. Malheureusement ces violences constituent “une large sous -représentation de la réalité”.
Le droit international qu’en dit-il?
A la suite des grands crimes du XXI ème siècle, est apparue la nécessité de se doter d'un système judiciaire international capable de juger ces crimes à grande échelle.
Pour ce faire, la Cour pénale internationale (CPI), l’organe permanent de justice pénale internationale a été fondée par le statut de Rome de 1998 et est entrée en vigueur en 2002. Ce statut comporte un chapitre qui s'intitule compétence, recevabilité et droit applicable qui contient en son sein les articles relatifs aux définitions des différents types de crimes qui existent sur la scène internationale .
L'article 7 de ce statut présente les caractéristiques constitutives d'un crime contre l'humanité. Elles sont au nombre de 11 et parmi elles on retrouve une section incluant : le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, les grossesses forcée, la stérilisation forcée ou toute forme de violence sexuelle de gravité comparable.
L'article 8 qui définit quant à lui le crime de guerre ne reconnaît pas le viol et les violences sexuelles comme des éléments constitutifs de crime de guerre.
En effet, à ce jour, même si certains cas ont pu aboutir à la reconnaissance du viol comme un crime de guerre, il ne s'agit pour autant pas d'un principe universel appliqué unanimement à tous les cas.
Cependant, selon l'article 8 du statut de Rome, le fait de « causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé » est l'un des éléments constitutifs de crime de guerre. Ce critère, par son caractère vague, pourrait permettre d'inclure le viol dans la définition du crime de guerre dans la mesure où ce dernier porte inévitablement atteinte à l'intégrité physique des victimes.
Quelle différence entre crime de guerre et crime contre l’humanité?
Le crime contre l'humanité est défini par le statut de Rome de 1998 une situation au cours de laquelle une catégorie d'actes pré déterminés est commise dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque.
Le crime de guerre, lui, se définit par le même statut comme l'ensemble des actes qui constituent une grave violation des conventions de Genève et de La Haye qui définissent ensemble les grandes règles qui régissent le droit de la guerre.
La principale distinction entre ces deux catégories de crimes réside dans la nature de la période diplomatique. En effet, un crime de guerre comme son nom l'indique ne peut se produire qu'en situation de guerre reconnue selon les règles du droit international de la guerre. Le crime contre l'humanité quant à lui s'observe davantage en période de paix. Le crime contre l'humanité a la particularité de pouvoir intervenir tant en période de paix qu'en période de guerre, tandis que le crime de guerre, lui, n’intervient qu'en temps de guerre.
La reconnaissance du viol comme crime de guerre?
En 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda condamne pour la première fois le viol systématique comme crime contre l’humanité ainsi que comme crime de guerre. C'est le premier tribunal international qui reconnait que le viol en tant de guerre n’est pas seulement un crime contre l’humanité mais aussi un crime de guerre.
Le 21 juin 2016, pour la première fois la chambre de première instance III a condamné un individu pour viol comme crime de guerre. En effet Jean Pierre Bemba Gombo a été reconnu coupable pour 5 chefs d’accusations dont un pour viol comme crime de guerre pour des faits commis en République centrafricaine entre octobre 2002 et mars 2003. Par cet arrêt c’est la première fois que la CPI reconnait le viol comme un crime de guerre et pas seulement un crime contre l’humanité.
Des propositions de loi ?
Madame Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, a déposé deux propositions de loi visant à reconnaitre le viol comme crime de guerre. Tout d’abord la proposition 469 déposée le 29 avril 2019 qui a été renvoyée à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. De plus, la proposition 564 déposée le 4 mars 2022 qui a été aussi renvoyée à la même commission. Depuis, aucunes nouvelles n’ont été données sur ces deux propositions. Nous pouvons supposer que ces deux propositions de lois n’ont pas abouties car en moyenne il faut 13 mois pour qu’une proposition devienne loi. Ici, le délai des 13 mois a été dépassé, nous pouvons donc émettre l’hypothèse que les propositions ne seront jamais examinées, notamment dans un contexte de dissolution de l'assemblée nationale.
Lawyers for Women est mobilisée contre toutes les formes de violences faites aux femmes de manière inconditionnelle et que cela soit en conflit armé ou pas. C’est la raison pour laquelle l’association s’est mobilisée dès le 7 octobre contre les crimes sexuels du Hamas contre les femmes israéliennes.
Pour en apprendre plus sur ce sujet : Si cette fiche thématique vous a intéressée et que vous voulez en apprendre davantage sur le “viol comme crime de guerre”, voici une liste de films, de documentaires et de livres sur le sujet.
Livres:
“Nos corps, leur champ de bataille” de Christina Lamb. Ce livre écrit par Christina Lamb, une journaliste britannique, est un des premiers livres à parler ouvertement du viol et des violences sexuelles lors des conflits armés modernes. Par son travail dans les zones de combats C. Lamb a pu recueillir des témoignages d'héroïsme et de résistance de ces femmes assujettis aux violences sexuelles en temps de guerre. A travers ces témoignages, la journaliste nous montre l’ancienneté de l’utilisation du viol comme arme de guerre,et nous montre les façons par lesquelles il pourrait être évité.
“Viols en temps de guerre” de Raphaëlle Branche et Fabrice Virgili. Ce livre nous expose les différents mécanismes utilisés au sein du viol à travers les divers conflits européens et internationaux tel qu’en Colombie, en Inde ou plus récemment au Rwanda. Cet écrit étudie les quatre aspects du viol en temps de guerre, indépendamment de l’époque et de l’espace étudiés. Les auteures viennent démontrer par leur analyse juridique que le viol bien qu’interdit par le droit international semble admis en période de conflit malgré la teneur tabou de cet acte genré ayant des conséquences dramatiques sur les victimes. Les autrices mettent l’accent sur la minimisation du viol et la stigmatisation qui l’accompagne. Elles s’intéressent aussi à un aspect peu développé le sort des enfants nés d’un viol ainsi que le viol sur les hommes.
“Réparer les femmes: un combat contre la barbarie” de Denis Mukwege. Ce livre raconte l’histoire de deux docteurs dans l’est de la République démocratique du Congo, le Pr Mukwege et le Pr Cadière qui réparent le corps des femmes qui ont subi par l’oppresseur des massacres, des pillages, des viols et des mutilations génitales qui sont devenus des armes de guerre. Malgré les menaces, les deux hommes s’appliquent pour redonner à ces femmes leur dignité. Denis Mukwedge a reçu grâce à ce combat le prix nobel de la paix en 2018.
Documentaires/Films:
“City of Joy” de Madeleine Gavin. Ce documentaire Netflix suit la vie de femmes, au sein de la Cité de la Joie, qui ont été victime de viol pendant la guere au Congo. Ce centre appelé “Cité de la Joie” est un projet soutenu par Unicef qui a vocation à créer un havre de paix pour ses femmes victimes. A travers leurs témoignages poignants, nous comprenons ce qu’elles ont subi et suivons leurs parcours pour se reconstruire.
“Syrie, le cri étouffé” réalisé par Manon Loizeau, co-écrit avec Annick Cojean et Souad Wheidi. Ce documentaire français réalisé par Manon Loizeau regroupe les témoignages des femmes syriennes ayant subi des viols et des violences sexuelles par le régime de Bachar el-Assad dès le début de la révolution syrienne. Ce reportage illustre la situation de ces femmes avant la révolution et après le basculement de celle-ci.
“Butterfly vision” de Maksym Nakonechnyi. Ce film, présenté au Festival de Cannes en 2022, retrace le retour d’une soldate ukrainienne revenant à Kiev après avoir été détenue en captivité dans le Donbass. Ayant été violée par les soldats russes, des traumatismes reviennent à la surface mais celle-ci refuse de se considérer comme une victime. Dans cette œuvre cinématographique nous suivons le parcours de cette soldate pour se libérer de ses souvenirs.
A VENIR: Un film documentaire franco-israëlien sur les crimes sexuels du 7 octobre réalisé par Benoît Brunger. Ce film illustrera l’utilisation par le Hamas du viol et du terrorisme sexuel comme arme de guerre destinée à provoquer des traumatismes physiques, émotionnels et psychologiques parmi les victimes.